La localisation des activités économiques et les déplacements domicile-travail dans 6 aires urbaines
Remi Dormois, marzo 2013
Cette fiche de lecture a été réalisée par les étudiants du Mastère « Politiques urbaines » de l’Université de Lyon (2011/2012) se rapportant à l’article d’Anne Aguiléra et de Dominique Mignot intitulé « Structure des localisations intra-urbaines et mobilité domicile-travail » et paru en 2002 dans la revue Recherche Transport Sécurité (n°77).
Dans cet article, Anne Aguiléra et Dominique Mignot s’appuient sur une analyse géographique de données issues de plusieurs recensements général de la population (INSEE) caractérisant les déplacements domicile / travail pour étudier les recompositions à l’œuvre dans la localisation des activités économiques et des espaces résidentiels sur six aires urbaines françaises1 et sur la période 1975/1999. Les deux auteurs s’interrogent sur l’impact de la métropolisation dans le fonctionnement spatial des agglomérations : Observe-t-on l’émergence d’un système polycentrique ? Que deviennent les parties centrales ? Quelles sont les interrelations entre mobilité et localisation des activités ? La forme urbaine de l’agglomération a-t-elle un impact sur la localisation des activités et sur les pratiques de mobilité ? Telles sont quelques-unes des questions qui animent les chercheurs dans leurs réflexions.
Un double processus de desserrement depuis les centres vers la périphérie et une nouvelle structure des localisations intra-urbaines
Depuis une quarantaine d’années, les villes françaises se développent sur des périphéries de plus en plus lointaines, conduisant à un phénomène de déconcentration, c’est-à-dire un déplacement du centre à la périphérie des habitants et des activités économiques. Les deux auteurs expliquent que cette périphérisation a d’abord concerné les populations, dans les années soixante, qui ont souhaité quitter le centre afin de pouvoir bénéficier d’un nouveau cadre de vie et d’accéder à la propriété individuelle. Ce n’est qu’à partir de ce mouvement qu’a succédé une délocalisation des services à la personne, puis l’apparition de nouvelles formes de commerce et pour finir une déconcentration des activités industrielles et des activités tertiaires comme les services aux entreprises. Par exemple, le centre des six aires urbaines étudiées a perdu des habitants et des emplois entre 1975 et 1999 (sauf Lyon). De même, Julien Talbot2 affirme que plus de la moitié des emplois urbains se situerait à la périphérie. Toutefois, d’autres travaux d’Anne Aguiléra3 montrent qu’il y a quand même une poursuite de la croissance des activités industrielles et tertiaires dans le centre. Il semblerait alors que la déconcentration touche davantage la population que les activités économiques.
Pour ces deux auteurs, il existe deux principaux facteurs explicatifs à ce desserrement: la généralisation de l’accès à l’automobile ainsi que l’extension des infrastructures routières et autoroutières.
Conséquences et évolution des déplacements domicile-travail : le poids de la migration alternante
Ce double processus de périphérisation n’est pas synonyme de proximité entre la localisation des actifs et celle de leur emploi. On aurait pu en effet penser que la concentration de la population et des activités économiques en périphérie aurait rapproché les actifs de leur lieu de travail. Or, il s’avère souvent que les personnes qui vivent dans la périphérie ne sont pas les mêmes que celles qui y travaillent. Pour les auteurs, cette « dissociation » entre lieu d’habitat et lieu d’emploi tient à plusieurs facteurs :
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Une faible offre d’emploi à proximité pour les résidents les plus périphériques, c’est-à-dire ceux de la couronne périurbaine,
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Des loyers trop élevés dans et près du centre pour certains types de ménages empêchant ces derniers d’habiter près de leur lieu de travail,
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Une volonté de certains habitants de ne pas nécessairement vouloir réduire les déplacements domicile-travail. Il semblerait que de nombreuses personnes pensent leur localisation résidentielle en fonction d’autres critères que la localisation de leur emploi comme la qualité de vie, la présence d’écoles… Comme le met en avant Marie-Christine Jaillet4, il existe des logiques de choix résidentiels en périurbain. Il y aurait ainsi une « recherche de la « tranquillité » qui est beaucoup plus un désir de mise à distance, notamment du travail.
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Et enfin le fait que le lieu de résidence des employés est encore peu pris en compte par les entreprises dans leurs choix de localisation.
Cette recherche montre que le phénomène d’étalement urbain ainsi la dissociation spatiale croissante entre emploi et habitat a pour conséquence :
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Une augmentation du nombre de déplacements domicile-travail : les auteurs relèvent une progression du nombre de migrants dans les centres. Les habitants des centres sont contraints de se déplacer vers la banlieue pour rejoindre leurs emplois, augmentant les trajets ayant pour origine et/ou destination la périphérie. Les auteurs relèvent également une augmentation du nombre de migrants en périphérie alors qu’il semblerait qu’il y ait une proximité entre les résidents et les activités économiques.
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Une augmentation de l’usage de la voiture : l’automobile s’est alors davantage imposée dans les migrations domicile-travail car ces déplacements s’effectuent difficilement en empruntant les réseaux de transport collectif qui se situent surtout dans les zones les plus denses des aires urbaines.
Même si ce phénomène de migration alternante touche à la fois le centre et la périphérie, on peut voir que la situation diffère en intensité. En effet, moins d’un tiers des actifs habitant au centre travaillent dans une autre commune alors que plus des trois quart des personnes habitant en périphérie travaillent dans une autre commune. On peut constater des déplacements du centre vers la périphérie qui sont en progression relativement mesurée dans les six aires urbaines étudiées. En revanche, les auteurs relèvent une évolution variable du poids des trajets de la périphérie vers le centre selon la forme urbaine. L’augmentation est caractéristique dans les agglomérations où le centre a un rôle important en termes d’emplois (Marseille-Aix-en-Provence, Saint-Étienne, Dijon), mettant en avant l’idée de dépendance de la périphérie, notamment de la banlieue, vis-à-vis du centre, tandis que la baisse des trajets caractérise plutôt les aires urbaines de Lyon, de Bordeaux ou de Grenoble qui se caractérisent par la structuration de polarités économiques fortes en périphérie.
Recompositions du centre et de la centralité : la question du polycentrisme
Dans cette étude, les auteurs ont également insisté sur la nécessité de dépasser une analyse binaire centre/périphérie. A travers la réalisation d’une typologie distinguant trois catégories de communes dans les six aires urbaines étudiées (« excédent d’emplois, stabilisation et attraction », « excédent d’emplois, faible stabilisation et attraction », « déficit d’emplois, faible stabilisation et faible attraction »), ils ont remarqué qu’il existe des disparités allant au-delà du découpage centre/périphérie. Dans les aires urbaines où le centre est fort, certes le centre fournit des emplois à ses résidents et à ceux de l’aire urbaine, mais on peut voir qu’il y a aussi des communes en périphérie où se sont installées des activités économiques et des populations qui jouent un rôle de pôles ou de centres secondaires. Ce processus d’extension spatiale urbaine prendrait des formes polycentriques, avec l’apparition de centres secondaires d’emploi. Dans le cas d’aires urbaines soumis à un fort étalement urbain, il est moins question de centre mais plutôt de centralités composées du centre historique et de la zone la plus urbanisée et dense. Le centre associé aux pôles de banlieue proches devient une sorte de « centre élargi » qui accueille une majorité de résidents-actifs travaillant et vivant dans cette zone. F. Gaschet et C. Lacour parlent alors de « disjonction entre le centre et la centralité »5.
Cette question de la recomposition du centre et de la centralité permet ainsi de mettre en avant les différentes tendances au sein de la littérature scientifique à ce sujet. On peut constater qu’une distinction est effectivement faite entre « centralité » et « polycentrisme ». Pour certains, la métropole ne se réduit pas à une centralité mais plutôt à un polycentrisme. L’étalement urbain ne se ferait pas de manière homogène sur toute l’aire urbaine mais hétérogène c’est-à-dire à certains endroits. Pour d’autres6, l’idée est la même mais il est nécessaire d’utiliser plutôt le terme « métropolisation » voire de « multipolarisation » que « polycentrisme » car le desserrement des activités s’effectue bien dans quelques communes relativement proches de la ville-centre, mais ces pôles d’emploi ne seraient pas assez grands en France par rapport au centre pour former une centralité secondaire7. Quel que soit le terme utilisé, cela a un impact sur la mobilité liée aux navettes domicile-travail et les distances parcourues. Selon S. Sultana8, le développement de pôles d’emplois favorise souvent une réduction du temps de trajet entre le lieu de domicile et le lieu de travail pour les actifs travaillant dans les pôles suburbains, mais au prix de distances de déplacement plus élevées et d’une utilisation plus systématique de la voiture. Au final, si beaucoup de travaux ont été faits en Europe sur les liens entre étalement urbain et mobilité, peu ont abordé l’impact du polycentrisme.
Cela peut aussi nous amener à nous demander si ces nouvelles notions signifient la fin de l’influence du centre « historique ». Anne Aguiléra conteste la thèse du déclin du centre historique. Selon ses travaux qui portent sur l’évolution de la localisation des services aux entreprises à Lyon, les pôles qui émergent sont plutôt complémentaires et permettent de maintenir la centralité métropolitaine à une échelle plus large que celle du seul centre historique. Ce desserrement de l’activité ne provoquerait pas un effondrement de la centralité car le centre se serait restructuré sur des activités haut de gamme et conserverait des atouts spécifiques. Il existerait également une forte valorisation de la centralité en tant que telle, notamment en termes d’image.
1 Il s’agit des aires urbaines de Marseille-Aix-en-Provence, Lyon, Bordeaux, Grenoble, Dijon et Saint-Étienne. Pour mémoire, l’INSEE définit les aires urbaines comme un ensemble de communes constitué par un pôle urbain d’au moins 5000 emplois et par une couronne périurbaine, c’est-à-dire des communes dont au moins 40% de la population active résidente va travailler dans l’aire urbaine. Le pôle urbain est lui-même composé d’un centre et d’une périphérie.
2 Talbot J., « Les déplacements domicile-travail. De plus en plus d’actifs travaillent loin de chez eux », INSEE Première, n°767, avril 2001.
3 Aguiléra A., « Services aux entreprises, centralité et multipolarisation. Le cas de Lyon », Revue d’Économie Régionale et urbaine, n°3, 2002, pp. 397-422.
4 Jaillet M-C., « L’espace périurbain : un univers pour les classes moyennes ? », Esprit, n°303, 2004.
5 Gaschet F., Lacour C., « Métropolisation, centre et centralité », Revue d’Économie Régionale et Urbaine, n°1, 2002.
6 Aguiléra A., Mignot D., Multipolarisation des emplois et déplacements domicile-travail : une comparaison de trois aires urbaines françaises.
7 Aguiléra A., « Lieux d’habitat et implantation des activités », Les ateliers de Toulouse Aire urbaine, Observatoire partenarial économie et emploi, mai 2009.
8 Sultana S., Some Effects of Employment Centers on Commuting Times in the Atlanta Metropolitan Area, 1990. Southeastern Geographer, n° 2, 2000.