Les enjeux spécifiques liés à la densification des banlieues et espaces périurbains : densification forte VS densification douce ?
Anastasia Touati, October 2015
Cette fiche revient sur les tensions liées à la mise en œuvre des mesures de densification, notamment dans les espaces de basse densité résidentielle, pour ensuite décrypter les différents dispositifs de densification. La densification douce, complément substantiel aux filières traditionnelles de construction résidentielle, y est définie plus précisément.
Parmi l’ensemble des politiques urbaines se réclamant du développement durable, les mesures de densification sont depuis plusieurs années présentées comme étant une des issues pour construire une ville moins consommatrice d’espace et de ressources, comme permettant de faire des économies dans les réseaux, et comme contribuant à la diminution des consommations énergétiques liées aux déplacements de personnes.
Pourtant, face à la multiplication des textes législatifs visant un développement urbain plus dense, on observe une grande difficulté à mettre en œuvre localement les politiques de densification, que ce soit d’un point de vue politique ou même d’un point de vue strictement économique. Maints auteurs posent par exemple la question de la pertinence, de la faisabilité mais aussi de l’acceptabilité de telles politiques (Burton, Jenks et Williams 1996; Breheny 1997; Filion 2010). De la même manière, s’il est généralement admis que l’étalement urbain coûte plus cher à la collectivité qu’une urbanisation dense, notamment du fait de l’augmentation des coûts d’investissement dans les réseaux divers, d’une part, de l’inefficacité économique des services à mesure que les distances augmentent, d’autre part, (Guengant 1995; Burchell et al. 2002; Camagni, Gibelli et Rigamonti 2002; Halleux et al. 2003), les études montrent qu’à l’échelle d’une opération, les coûts de construction augmentent avec la densité et la taille de l’opération en question (Morlet 2001; Castel 2005; Castel 2006; Piron 2007). Ceci met en évidence le caractère onéreux, à court terme, de la densification par rapport aux extensions périphériques. La densification se heurte également à un obstacle majeur : son acceptation par les résidents et les gouvernants des espaces résidentiels (Pinson, Thomann et Luxembourg 2006; Charmes 2010; Dempsey 2010). Enfin, dans les recherches consacrées au développement urbain durable, on observe que la dimension sociale et redistributive des politiques menées en son nom est souvent reléguée au dernier plan. Pour différents chercheurs, les mesures de densification n’échappent pas à cette constatation (Béal, Gauthier et Pinson 2011).
Les tensions liées à la mise en œuvre des mesures de densification seraient au demeurant particulièrement vives dans les espaces de basse densité résidentielle. Or, avec une préférence supposée des populations pour la maison individuelle (Myers et Gearin 2001; Pinson, Thomann et Luxembourg 2006), la question du traitement des espaces pavillonnaires, de leur gouvernance (Ekers, Hamel et Keil 2012) et de leur éventuelle densification est ici posée. Les tissus de ce type forment des espaces encore peu investis dans le champ de la recherche sur l’action publique urbaine mais aussi dans le champ opérationnel, alors que ceux-ci constituent un enjeu considérable, du fait de l’importance des surfaces urbanisées en jeu et parce qu’ils renferment des sources de foncier inexploitées en raison des basses densités résidentielles qui y sont pratiquées. A ce titre, la recherche urbaine française, notamment dans le cadre des programmes Villas Urbaines Durables et Habitat pluriel, densité, urbanité, intimité financés par le PUCA puis dans le cadre du projet de recherche BIMBY financé par l’ANR, a pu mettre en évidence que les tissus pavillonnaires constituent un enjeu considérable en la matière.
La densification des banlieues : une variété de dispositifs
Il existe différentes manières de diversifier ces tissus, et l’observation des processus de densification des tissus pavillonnaires et des politiques qui les régulent fait apparaître de nombreuses modalités de densification qui dépendent des instruments de politiques publiques choisis (Darley and Touati 2013). On peut par exemple densifier le tissu pavillonnaire dans le cadre d’une procédure partenariale de type ZAC (Zone d’Aménagement Concerté), où après acquisition systématique des parcelles, on effectue un remembrement foncier pour mettre en œuvre un projet d’aménagement d’envergure qui change radicalement les formes urbaines. Cette transformation des formes urbaines peut aussi intervenir dans le seul cadre du document d’urbanisme (POS ou PLU), où des promoteurs immobiliers se saisissent des dispositions offertes par un règlement qui libère les droits à construire, pour densifier le tissu par des constructions d’immeubles de plus ou moins grande hauteur dans le tissu. On peut aussi densifier sans changer de manière radicale la forme urbaine, par des processus de densification « douce » (Touati 2012).
De l’intérêt de la densification douce en France
La densification douce peut être un complément substantiel aux filières traditionnelles de construction résidentielle. En tout état de cause, elle apparaît aujourd’hui, pour de nombreux acteurs, comme une solution innovante en matière de production de logements. Or, si cette expression de « densification douce » est aujourd’hui très relayée, on peine à en trouver une définition précise. Il faut donc s’arrêter un instant sur la définition ici adoptée. Par densification douce des tissus pavillonnaires nous désignons tout processus consistant à densifier le tissu urbain existant par l’insertion ou l’aménagement de nouveaux logements, sans destruction du bâti existant et sans changer de manière significative les formes urbaines du quartier pavillonnaire en mutation. Elle peut alors prendre des formes très variées telles que :
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la division parcellaire et construction sur parcelles détachées (plus largement étudiée dans le projet de recherche ANR- BIMBY) ;
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la construction sur parcelle sans division, ou la division interne de pavillon, comme dans les cas des politiques d’appartements accessoires plus largement développées en Amérique du Nord (Touati 2013). En France, cette division interne de pavillon se produit également de manière spontanée et parfois de manière informelle, notamment dans les secteurs tendus accueillant une population modeste (Davy, Mertiny, and Richard 2014);
Enfin il existe des processus de densification douce dans le cadre d’opérations plus importantes de restructuration de pavillons avec surélévation et/ou extension et/ réhabilitation, avec sous sans remembrement foncier, pour la production de plusieurs logements, à l’image des opérations réalisées par les « micros bailleurs » pour la réalisation de logements sociaux en diffus (CGEDD 2010).
Selon ses promoteurs, la densification douce pourrait constituer un complément substantiel pour la production de logements. Elle présenterait également l’avantage de ne pas toujours nécessiter d’investissement public pour le montage de l’opération et de ne pas entraîner d’étalement urbain. La densification douce pourrait en outre répondre à divers problèmes que pose aujourd’hui la gestion des espaces de banlieue: pénurie foncière à l’intérieur des limites construites des municipalités, optimisation des services et équipements de proximité, maintien des infrastructures de transport, etc. Elle pourrait également permettre de redynamiser certains quartiers périurbains voire ruraux vieillissants en diminution importante de population tant sur le plan humain que sur le plan économique, et accompagner des actions spécifiques de revitalisation des centres bourgs.
Les points de vigilances
Aujourd’hui, des expérimentations et des politiques de densification douce se sont développées, certaines depuis de nombreuses années déjà sur le territoire hexagonal (notamment après l’instauration de la loi SRU en 2000 qui a instauré la suppression du minimum parcellaire) et beaucoup plus récemment dans le cadre d’expérimentations. L’étude des processus qui en découlent montre que l’absence d’accompagnement des habitants et acteurs locaux donne parfois lieu à des formes de densification que les élus et les services techniques peuvent juger néfastes pour le développement futur de la commune. En effet, dans la filière du diffus, la puissance publique locale autorise ou non les constructions en fonction des règles du document d’urbanisme mais elle n’accompagne pas le processus effectif, que ce soit sur la question par exemple de la forme des divisions parcellaires, de l’optimisation des voies de desserte ou encore sur l’impact du processus sur les réseaux existants. Certaines formes de densification peuvent ainsi potentiellement mener à des dérives, ce qui met en évidence la nécessité d’une ingénierie locale de la densification.
Par ailleurs pour certaines formes de densification douce, se pose la question de l’équité foncière du dispositif. En effet, les plus-values engendrées, par exemple, par la vente d’un terrain à bâtir rendue possible par une politique de densification sont accaparées par les seuls propriétaires de maisons individuelles, ce qui introduit une inégalité de traitement, qu’il convient d’étudier, entre les habitants dans certaines communes, en fonction de leur statut (locataire ou propriétaire) et en fonction de leur localisation dans la commune.
Enfin, l’absence de concertation des habitants et acteurs locaux entre eux et avec la collectivité ne permet pas de faire émerger un véritable projet urbain co-construit. Il y a donc une gouvernance de la densification à inventer ou systématiser (à l’image de ce que font déjà certains géomètres entre les voisins d’une parcelle en mutation), sans pour autant casser les dynamiques à l’œuvre.
Sources
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Béal, V., Gauthier M., and Pinson G. 2011. Le développement durable changera-t-il la ville? : le regard des sciences sociales. Saint-Étienne: Publications de l’Université de Saint-Étienne.
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Breheny, M. 1997. “Urban Compaction: Feasible and Acceptable?”, In Cities, n°14 (4): 209–17.
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Burchell, R. W., Lowenstein G., Dolphin W.R., Galley C.C., Downs A., Seskin S., Still K.G., and Moore T. 2002. Costs of Sprawl, 2000. Washington D.C.: Transit Cooperative Research Program (TCRP), published by Transportation Research Board.
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Burton, E., Jenks M., and Williams K. 1996. The Compact City: A Sustainable Urban Form?, 1st ed. Routledge.
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Camagni, R., Gibelli M-C., and Rigamonti P. 2002. “Forme Urbaine et Mobilité : Les Coûts Collectifs Des Différents Types D’extension Urbaine Dans L’agglomération Milanaise.”, In Revue D’économie Régionale et Urbaine, n°1: 105–40.
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Castel, J-C. 2005. “Le marché favorise-t-il la densification ? Peut-il produire de l’habitat alternatif à la maison individuelle ?” In CERTU, le 30 septembre 2005, présentation lors du colloque ADEF du 14 octobre 2005. 15 pages.
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Castel, J-C. 2006. “Les Coûts de La Ville Dense Ou Étalée”, In Etudes Foncières, n°119 (January): 18–21.
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CGEDD. 2010. La production de logements sociaux en diffus, réalité et obstacles. Paris: Conseil Général de l’environnement et du développement durable.
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Darley, A., and Touati A. 2013. La Densification Pavillonnaire À La Loupe : Dynamiques Régionales, Stratégies Locales et Formes Urbaines. Paris: CETE Ile-de-France, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, LATTS (ENPC).
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Touati, A. 2012. “L’habitant Maître D’ouvrage. Au Cœur de La Densification Pavillonnaire.”, In Études Foncières, n°157 (mai-juin): 34–39.
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Touati, A. 2013. “La Densification « Douce » Au Canada. L’exemple Des « Appartements Accessoires » En Ontario”, In Métropolitiques.