Le droit au logement
Pourquoi ce droit qui a l’air si simple dans son affirmation est en fait si compliqué à définir ?
2007
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
Cette fiche propose une définition du droit au logement et en expose les limites opérationnelles dans son application. Cependant, l’exemple de l’Ecosse vient à propos et laisse apercevoir une piste pour rendre ce droit opérant.
Le droit au logement occupe une place particulière et centrale parce qu’il découle d’un principe fondamental de dignité humaine et qu’il s’inscrit dans une civilisation de plus en plus urbaine. Or, dans la ville, le logement n’est pas un bien comme un autre, il est un élément fondamental à la survie de l’individu et un pré-requis indispensable à la mise en œuvre de nombreux autres droits politiques et sociaux. Le droit au logement transcende ainsi d’autres droits en permettant la participation de tous à la vie de la cité.
Le système économique libéral tend à voir l’organisation du territoire urbain comme un grand marché, renforçant alors les situations d’exclusion et de précarité. La mise en œuvre du droit au logement devient dans ce contexte une indispensable responsabilité de l’autorité publique.
Pourquoi ce droit, qui a l’air si simple dans son affirmation, est en fait si compliqué à définir ?
Avoir droit à être logé semble une affirmation très simple et concrète mais dans les faits dès que l’on tente de donner forme et réalité à ce droit on affronte de nombreux débats théoriques et obstacles pratiques.
Tout d’abord la définition concrète du droit au logement n’est pas aisée car le droit au logement ne se limite pas au droit à un toit et quatre murs. Jean-François Tribillon en propose la définition suivante : “le droit d’accéder à un logement décent, convenablement situé, suffisamment desservi par des équipements publics et privés1”. Le droit au logement implique donc un certain niveau de qualité de l’habitat mais aussi une insertion dans l’espace urbain. On observe alors que plus on élargit la notion de droit au logement plus on l’inscrit dans un droit plus large et qui l’englobe : le droit à la ville2 qui lui-même recoupe d’autres droits sociaux (le droit d’accès aux services publics, le droit à la mobilité…).
Il n’existe donc pas de définition “abstraite et universelle” du Droit au logement. On peut le définir par la négative face au droit à l’hébergement (droit provisoire) ou comme un droit à ne pas être mal-logé.
Par ailleurs, l’instauration d’un droit au logement pouvant se heurter à des oppositions théoriques, il faut bien noter qu’il ne s’oppose pas au droit de propriété mais s’inscrit comme un droit de même valeur ; la réglementation, le respect et le contrôle de l’un comme de l’autre permettant la construction d’une ville ouverte et intégratrice.
Qu’en est-il alors de son application concrète malgré toutes ces incertitudes ? Quel est le sens des questions qui se posent aujourd’hui autour du droit au logement ?
Contexte et problématique actuelle
Dans la tradition juridique classique, opposant droits civils et politiques d’un côté et droits socio-économiques de l’autre, le droit au logement aurait une valeur juridique plus déclarative qu’opératoire. Il obligerait l’autorité publique à une mise en œuvre de moyens plus qu’à des résultats concrets. Cependant le cadre juridique affirmant le droit au logement semble de plus en plus solide, ce droit prenant sa source dans des textes qui se situent au sommet de la hiérarchie des normes.
Le droit au logement est reconnu au niveau international dans toute une série de textes qui, s’ils ont été signés par les Etats, peuvent créer des obligations entre eux mais dont les personnes privées ne peuvent se prévaloir, leur portée reste donc très limitée3. Au niveau européen, on retrouve le droit au logement dans la Charte sociale européenne révisée (1996) ainsi que dans la Charte des Droits fondamentaux (2000). Le logement est resté une compétence des Etats au sein de l’Union Européenne.
Ainsi chaque pays présente des dispositions législatives ou constitutionnelles censées faciliter la mise en œuvre du droit au logement. Ces dispositions peuvent rester purement déclaratives ou, au contraire, être traduites par des mécanismes innovants d’instauration du droit au logement (Cf. exemple écossais ci-dessous).
En France la loi Besson de 1990 a affirmé le droit à un logement décent4. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a affirmé en 1995 que la possibilité pour chacun de disposer d’un logement décent était un objectif de valeur constitutionnelle.
Enfin en 2007, la loi sur le Droit au logement opposable (DALO) a instauré un mécanisme permettant à des personnes en difficultés, reconnues prioritaires pour l’attribution d’un logement social et qui ne se voient pas proposer de logement dans des délais raisonnables, de faire valoir leur droit au logement devant un juge. Le juge peut alors condamner l’Etat à payer une astreinte tant que ces personnes ne sont pas logées. Cette loi, dans son principe est une avancée indiscutable, mais son application reste encore incertaine. Le statut “prioritaire” est attribué selon des critères flous et son refus ne pourra que difficilement être contesté.
On constate donc que la question principale posée par l’affirmation de ce droit est celle de sa valeur juridique. Dans quelle mesure peut-on le rendre opposable (ou justiciable) c’est à-dire dans quelle mesure une personne qui ne trouve pas de logement peut librement se tourner vers un juge pour qu’il oblige l’autorité publique à faire respecter ce droit ?
Concrètement l’effectivité du droit au logement repose sur trois piliers :
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La protection légale, portant sur les statuts d’occupation (réflexion sur le droit de propriété), l’accès au logement (droit des demandeurs et temps d’attente) et la couverture des risques sociaux (allocations, mécanismes assurantiels). Ces éléments reposent sur la mise en place d’un droit individuel justiciable.
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Le stock de logements accessibles et décents. C’est la condition matérielle de l’effectivité du droit au logement, elle est possible : par une production publique de logement, par la socialisation du marché privé (question d’un contrôle des loyers, de la fiscalité et des aides publiques, objectifs sociaux dans les documents d’urbanisme) et par des politiques de qualité de l’habitat (normes de qualité, aides à l’amélioration de l’habitat).
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Des services ciblés vers les groupes vulnérables (produits adaptés dans des logiques de choix, d’accompagnement et de participation).
D’après Marc Urhy
Paradoxalement, dans un contexte politique et économique de grande précarité et de progression du mal logement, le droit au logement semble avancer au niveau juridique. Par le haut via les divers traités internationaux qui affirment des grands principes et par le bas via la reconnaissance de droits à l’hébergement, la mise en œuvre de dispositifs pour le logement des personnes défavorisées et plus récemment l’adoption de la loi DALO.
L’appropriation de ce droit par divers partis politiques et l’expérience innovante de l’Ecosse laissent penser qu’il pourrait encore se renforcer sur un plan juridique. Chacun continue cependant à mettre ce qu’il entend derrière ce terme, d’une sanction par le juge au simple renforcement de la médiation. Mais au-delà du simple droit à un toit il convient de s’interroger sur la mise en œuvre urbaine de ce droit en poussant l’objectif vers la réalisation du Droit à la ville.
Expériences innovantes
La justiciabilité du droit au logement écossais
Le “Homelessness etc. Scotland act” est une loi votée en 2003 qui précise les droits des mal-logés et des sans-abris et affirme les responsabilités qui en résultent pour les autorités publiques. Elle prévoit le droit au logement opposable pour différentes catégories prioritaires de la population ainsi qu’une généralisation de ce droit à tous pour 2012.
La législation s’adresse spécifiquement aux personnes identifiées comme “homeless” c’est à dire “mal-logées” ou sans logement. Dès 1987, un premier Housing Act (adopté pour tout le Royaume-Uni) avait donné aux autorités locales une obligation d’héberger les personnes identifiées comme homeless, à la double condition qu’elles ne le soient pas intentionnellement et qu’elles appartiennent à une catégorie prioritaire (femmes enceintes, personnes vulnérables ou handicapées, personnes sous la menace de violence…).
Le Housing Scotland Act de 2001 élargit l’obligation d’hébergement à l’ensemble des mal-logés et introduit, pour les prioritaires, un droit à se voir proposer une offre raisonnable de logement adaptée à leurs besoins. L’impossibilité pour la collectivité de faire immédiatement une offre l’oblige à héberger le demandeur sans dépasser un délai raisonnable. Beaucoup de collectivités se sont ainsi donné pour objectif de ne pas dépasser 28 jours.
Le Homelessness Scotland Act de 2003, dont toutes les dispositions ne sont pas encore entrées en vigueur, ouvre la voie à la suppression graduelle des catégories prioritaires en élargissant leur nombre, pour aboutir en 2012 à l’obligation pour les collectivités de faire une offre de logement à toute personne considérée comme “homeless” et justifiant d’un lien avec le territoire (« local connection »).
La loi prévoit un calendrier de cette suppression graduelle pour permettre la mise en œuvre de programmes de construction afin d’augmenter l’offre de logement.
Un recours contentieux est prévu à l’encontre des décisions des collectivités locales. Il doit être précédé d’un recours gracieux et peut entraîner l’annulation de la décision par le juge et le prononcé d’une injonction. Pour l’instant, le contentieux est peu développé. Son augmentation potentielle du fait de la montée en puissance du dispositif n’inquiète pas les collectivités, dont la forte mobilisation découle avant tout d’un engagement politique qui rassemble au-delà des clivages partisans.
La mise en œuvre de ce texte est facilitée par une organisation administrative assez simple. Elle s’accompagne de diagnostics précis en termes de répartition du mal logement sur le territoire et d’un suivi très organisé de son instauration progressive.
1 Le droit à la ville et Le droit au logement, Tribillon, 2003
2 “Le droit à la ville, c’est bénéficier d’un logement convenable, avoir un travail rémunérateur, s’installer familialement, vivre à l’abri des tracasseries policières même si on est né au loin… mais aussi tout simplement et plus spécifiquement, habiter une ville belle, commode, saine, respectueuse de l’environnement.” in Tribillon 2003
3 Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), Pacte International relatif aux Droits économiques sociaux et culturels (1966. Conventions internationales sur les droits des enfants (1959 puis 1989), des femmes (1979), des minorités (1991), des peuples indigènes (1993), textes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le logement des travailleurs…
4 “Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières (a) le droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent ou s’y maintenir”.
Referencias
GUISELIN Emmanuel-Pie, « Droit au logement : quelle reconnaissance ? », in SEGAUD M., BRUN J. et DRIANT J.-C., Dictionnaire de l’habitat et du logement, Armand Colin, Paris, 2003
TRIBILLON Jean-François, Le droit à la ville et Le droit au logement(2003)
UHRY Marc, « Le droit au logement en Europe », in Cahier Voltaire : la ville à l’épreuve du libéralisme, Aitec, Paris, 2006
ZITOUNI Françoise, « Le droit au logement des personnes défavorisées, nouveau droit social ?", in SEGAUD M., BONVALET C., BRUN J., Logement et habitat : l’état des savoirs, La découverte Paris 1998
Séminaire relatif au logement, Le droit au logement, ENA, direction des études, Juillet 2005
Para ir más allá
Pour lire la Charte sociale européenne
Pour lire la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Pour consulter le texte de l’homelessness act
La loi Besson
La loi DALO