Politique régionale sur l’efficacité énergétique de la CEDEAO
Faciliter l’accès universel à l’énergie par le biais de l’efficacité énergétique en Afrique de l’Ouest
IBRAHIM SOUMAILA, EDGAR BLAUSTEIN, ANNE RIALHE et CRISTINA CLAIN, 2012
Les pays de l‘Afrique de l‘Ouest sont face à un immense défi de développement. En effet, ils doivent subvenir aux besoins – de création d‘emplois, en éducation, en services de santé, en eau potable – de plus de 300 millions de personnes, avec une forte dynamique démographique, et cela malgré les nombreuses faiblesses des institutions de la région.
Fournir l‘accès aux services énergétiques constitue un des enjeux clés du développement. Il faudra :
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Permettre à chaque habitant l‘accès aux services énergétiques vitaux.
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Garantir un fonctionnement fiable des systèmes de production d‘énergie.
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Optimiser la contribution de l‘énergie au développement économique, l’égalité homme–femme et la justice sociale.
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Protéger l‘environnement local et mondial contre les impacts négatifs liés à la production et à l‘utilisation de l‘énergie.
En effet, il ne sera pas possible pour les pays de la région de progresser sans électricité dans les écoles, sans la force mécanique pour pomper l‘eau ou pour les industries, ou sans un approvisionnement durable en combustibles pour la cuisine. Or, aujourd‘hui, 2/3 des habitants de la région ne bénéficient ni d‘un service d‘électricité ni de force mécanique (utilisant seulement la force musculaire des hommes et des animaux). De même, plus des 3/4 de la population doivent faire la cuisine avec du bois ou du charbon de bois, en utilisant des foyers rudimentaires, émettant des fumées fortement nuisibles pour les femmes qui préparent la nourriture, ainsi que les petits enfants qui les accompagnent. Par ailleurs, deux tâches – porter de l‘eau et chercher le bois de feu – requièrent un investissement en temps substantiel des femmes et des filles, les empêchant de participer à des activités économiques ou éducatifs.
Les États de la région, réunis au sein de la Communauté économique des États de l‘Afrique de l‘Ouest (CEDEAO)1 ont pris toute la mesure du problème. Ainsi, en janvier 2006, les chefs d’État et de gouvernement ont approuvé le Livre Blanc sur l’accès aux services énergétiques des populations rurales et périurbaines pour la réduction de la pauvreté et l’atteinte des objectifs du millénaire pour un développement durable, qui comportait des objectifs ambitieux pour l’accès à l’énergie à l’horizon 2015, à savoir :
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100 % de la population, soit 325 millions de personnes auront accès à un service de cuisson moderne.
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au moins 60 % des personnes résidant en milieu rural auront un accès aux services productifs dans les villages, en particulier de force motrice, pour accroître la productivité des activités économiques.
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66 % de la population, soit 214 millions de personnes résidant en milieu périurbain et rural, auront un accès au service électrique individuel
Soit :
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100% des populations périurbaines et urbaines.
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et 36% des populations rurales.
En outre, 60% de la population rurale vivra dans une localité bénéficiant de :
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la modernisation des services sociaux de base – santé, éducation, approvisionnement en eau potable, communication, éclairage, etc.
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l’accès au service d’éclairage, audiovisuel, télécommunications.
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la couverture des populations isolées par des approches décentralisées.
Or, par manque de moyens, de volonté politique et d’institutions adéquates, la région n’a fait que peu de progrès pour atteindre ces objectifs.
Ainsi, la région a pris une nouvelle décision, créant le Centre régional pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique (CEREEC)2 en 2007. Cet organisme est chargé de mener des actions au niveau régional en faveur de l’utilisation des énergies renouvelables et des technologies efficaces en énergie. Le CEREEC, avec le soutien de la Commission européenne3, de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la Maîtrise de l’énergie), du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), de l’Autriche et de l’Espagne a engagé une démarche visant à capter l’énorme potentiel de l’économie d’énergie.
La démarche du CEREEC se décompose en cinq étapes :
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Des missions de diagnostic dans les quinze pays de la région.
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Sur la base des informations recueillies, la rédaction d’un projet de stratégie politique sur l’efficacité énergétique.
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La validation technique par les autorités publiques compétentes.
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La soumission au Ministres de l’énergie, en vue d’adoption comme stratégie régionale.
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La mise en œuvre.
Le CEREEC a mené à bien les trois premières étapes.
Des diagnostics approfondis
Des missions de diagnostic ont été menées dans tous les pays de la région, entre septembre 2011 et mars 2012. Ces missions ont abouti aux constants suivants.
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Presque tous les pays, dans des mesures différentes, souffrent d’une crise énergétique. Les coupures de courant touchent les usagers en moyenne 56 jours par an. La Banque mondiale évalue la perte économique due aux coupures de courant à 2 % de croissance annuelle. L’approvisionnement en combustible pour la cuisson n’est pas assuré à terme. Déjà, pour beaucoup de citadins, les dépenses pour le charbon de bois représentent autant de dépenses que l’achat de nourriture.
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Le potentiel d’économies dans la région est énorme. Seulement l’application de deux mesures – à savoir remplacer les ampoules incandescentes avec des lampes à basse consommation et réduire les pertes dans la partie « distribution » des systèmes – pourraient libérer 20% de la consommation actuelle. D’autres mesures, un peu plus complexe à mener, dans l’industrie, le transport ou le bâtiment, pourraient libérer autant d’énergie.
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La majorité des États n’agissent pas efficacement pour capter le potentiel d’économies. Bien que tous les États de la région ont une politique énergétique qui mentionne l’efficacité énergétique, moins de la moitié disposent d’institutions chargées de mettre en œuvre des programmes concrets, et seul le Ghana a fait de réels progrès : ce pays à largement mené à bien le remplacement des ampoules incandescentes, et a pris des actions vigoureuses dans le domaine de la distribution électrique. Dans le domaine de la cuisson, de multiples petits projets sont menés, généralement par des ONGs ou les coopérations internationales, mais aucun n’a atteint une envergure nationale.
Les incitations à la mise en œuvre du document stratégique
Sur la base de ces constats, l’équipe du CEREEC a rédigé un projet de document de politique sur l’efficacité énergétique. Ce document comporte une description de l’état des lieux, et une analyse sectorielle – dans le transport et les bâtiments des villes, dans les industries et les services, et dans les ménages – en matière de potentiel de l’efficacité énergétique, ainsi que des mesures publiques nécessaires pour le capter. Le document conclut avec une stratégie régionale – composée d’actions politiques, de sensibilisation des acteurs de l’énergie, de renforcement des capacités humaines et institutionnelles, de financement – et d’un plan d’action.
Les acteurs de la région ont tiré une leçon de l’expérience du Livre Blanc de la CEDEAO–UEMOA sur l’accès à l’énergie : il n’est pas suffisant de faire approuver un document de politique par les ministres pour en garantir la mise en œuvre. Ainsi, afin de maximiser les chances de mise en œuvre, le projet politique comporte aussi cinq initiatives qui portent sur l’éclairage, la distribution électrique, la cuisson, les normes et standards sur l’efficacité énergétique et sur les financements liés à l’environnement accompagnées par des partenaires, un plan d’action et des sources de financements.
L’initiative sur l’éclairage
L’éclairage se situeparmi les diverses types d’appareils énergétiques qui consomme le plus d’énergie électrique en Afrique de l’Ouest. En effet, pour la majorité des foyers électrifiés, les ampoules constituent la première et parfois la seule utilisation de l’électricité. L’initiative vise à remplacer les ampoules incandescentes par des lampes à basse consommation, dans un premier temps des lampes fluos compactes. Le Ghana a déjà mené à bien un programme sur l’éclairage, aboutissant à une véritable transformation du marché de l’éclairage dans ce pays. Ce programme a consisté en une distribution massive des fluos, accompagnée par une campagne de sensibilisation. Des équipes ont sillonné le pays, retirant les incandescentes pour les détruire sur la place publique sous un rouleau compresseur, et installant les lampes neuves. Le programme Ghanéen a abouti à une diminution d’environ 10% du pic de consommation, épargnant à l’État, des investissements en centrales et lignes. Il est à espérer que les points forts du programme ghanéen pourront être répliqués dans les autres pays de la région.
L’initiative sur la distribution électrique est d’une toute autre nature
Là ou les ampoules concernent une population large de plusieurs dizaines de millions de ménages, les « pertes en ligne » concernent en priorité quelques dizaines d’entreprises de distribution électrique4. La nature du défi est aussi différente ; les solutions étant très capitalistiques et techniquement complexes. En effet, les infrastructures de distribution électrique de la région souffrent de sous investissement, de manque d’entretien et de manque de maintenance. L’initiative vise à soutenir ces compagnies dans la mise en œuvre de programmes globaux. Il s’agit d’investissements matériels – en lignes, en transformateurs performants et correctement dimensionnés, en sous–stations. Mais l’investissement matériel doit être accompagné de mesures institutionnelles et de renforcement de capacités, pour permettre aux compagnies de mettre en place une maintenance préventive, de facturer correctement les usages et d’améliorer la distribution. Garantir le paiement du service électrique constitue un défi en soi, tellement le non paiement des factures ou le vol d’électricité par des branchements illicites sont des pratiques courantes. Parfois des solutions techniques peuvent aider.
Les compteurs à pré–paiement aident les ménages à maîtriser leur consommation. Les High Voltage Distribution System remplacent les lignes de distribution à 220V (volt) par des lignes à plusieurs milliers de volts, rendant plus difficile le vol. L’enjeu de réduction de pertes est de taille. Là où les pertes dans un système en bon état avoisinent 7–8 %, les pertes en Afrique de l’Ouest dépassent 20% en moyenne, et atteignent 40 % dans certains systèmes.
Une autre initiative abordera les enjeux complexes de la cuisson
L’enjeu est vital : notre nutrition provient majoritairement d’aliments qui doivent être cuits pour être consommés. Or, l’approvisionnement de combustibles pour la cuisson n’est pas assuré à long terme en Afrique de l’Ouest. Les ressources forestières, d’ou proviennent le bois et charbon de bois, sont en déclin, du fait d’un faisceau de facteurs : pression pour convertir forêts en terres agricoles ; avancée du Sahara, pour des raisons climatiques ; coupes « minières » dans les zones les plus proches des villes qui empêchent la régénération des forêts. Le gaz pétrole liquéfié, l’alternative immédiate à l’utilisation du bois, est aujourd’hui trop cher pour la majeure partie de la population. L’initiative sur la cuisson abordera toutes les maillons de la filière, afin d’améliorer l’efficacité et la viabilité à long terme de toute la chaîne : gestion forestière ; coupes contrôlées ; conversion en charbon de bois ; transport ; appareils de cuisson.
La région entend aussi mettre en place un système cohérent de normes de performance énergétique. Un tel système constitue une base indispensable pour des efforts tels que la labellisation énergétique, la certification de produits ou des standards de performance minimale. L’effort commencera avec des normes sur les ampoules, en complément à l’initiative sur l’éclairage.
Finalement, une initiative sur le financement environnemental vise à la mobilisation des divers instruments existants qui pourraient monétiser les services environnementaux qu’apporte l’efficacité énergétique. En premier lieu, il s’agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre : dioxyde de carbone et méthane. En effet, pour l’Afrique de l’Ouest, capter le méthane émis par la décomposition des déchets permet d’éliminer ce gaz à fort effet de réchauffement, tout en fournissant un combustible, à valoriser pour la cuisson et la production électrique. Il existe aussi un enjeu sur l’ozone, dans le recyclage de réfrigérateurs peu performants et leur remplacement par des appareils efficaces.
De même, le CILSS (Comité permanent Inter–États de Lutte contre la Sécheresse), une organisation régionale œuvrant contre la désertification, pourrait être un soutien pour des actions sur la cuisson. Finalement, une convention sur les émissions de mercure, dans les étapes finales de négociation, pourrait financer la réduction des émissions de mercure par les centrales au charbon, de même que le recyclage des lampes contenant du mercure.
Le document de politique, intégrant les cinq initiatives, sera présenté aux Ministres en charge de l’énergie de la CEDEAO à l’occasion du Forum de haut niveau qu’organise la CEDEAO du 29 au 31 octobre 2012 à Accra au Ghana sur le thème « Accès à l’énergie durable pour tous à travers les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ». Des représentants de la Communauté internationale, ainsi que des représentants du secteur privé et de la société civile, participeront avec des autorités de la région à des débats sur la contribution potentielle de l’efficacité énergétique, ainsi que des énergies renouvelables, pour relever le défi de l’accès universel à l’énergie en Afrique de l’ouest.
1 Les États membres de la CEDEAO sont : Bénin ; Burkina Faso ; Cap–Vert ; Côte d’Ivoire ; Gambie ; Ghana ; Guinée ; Guinée–Bissau ; Liberia ; Mali ; Niger ; Nigeria ; Sénégal ; Sierra Leone ; Togo.
2 Retrouvez le site internet du CEREEC en français, anglais et portugais
3 Le soutien financier de la Commission européenne provient de la Facilité énergie ACP–CE, dans le cadre du projet SEEA–WA, Supporting Energy Efficiency for Access in West Africa, FED/2011/231–674
4 La distribution représente le segment le plus étendu de l’infrastructure électrique. Elle permet à l’électricité, produite dans les centrales, puis acheminée sur de grandes distances par des lignes de transport électrique, d’arriver dans les foyers et entreprises.
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