Un brin d’espoir dans l’industrie florissante de la construction en Inde
Darryl D’MONTE, 2011
La plupart des bâtiments en Inde reproduisent les bâtiments de verre et d’acier énergivores des pays occidentaux. Mais grâce à la mise en place de deux systèmes d’évaluation des bâtiments écologiques, à la renaissance de l’architecture traditionnelle et aux 30 écoles d’ingénieurs et d’architecture proposant des cours de certification écologique, l’Inde devient, peu à peu, plus à même de construire des bâtiments écologiques.
Les défis de l’efficacité énergétique face à l’explosion urbaine du bâtiment en Inde
Le terme cinglant d’« homme imitateur » de V.S Naipaul1 ne s’applique que trop bien à presque toutes les facettes de la vie dans ce pays. Et les bâtiments ne sont nulle exception. Dans toutes les villes, ils sont construits selon les modèles occidentaux, eux–mêmes élaborés pour des climats tempérés. Par temps froid, les bâtiments doivent retenir la chaleur. Pour compléter le chauffage artificiel, les architectes occidentaux construisent des bâtiments capables de retenir le plus de chaleur possible. Ils n’hésitent donc pas à user et abuser du verre. Ce n’est pas par hasard si l’on parle d’effet de serre au niveau mondial.
Pourquoi cette manie de mimétisme aveugle pour des immeubles de bureaux, des centres commerciaux et autres constructions dépasse–t–elle l’imagination ? Je me souviens que lorsque les bureaux Ceat ont été construits à Worli (Mumbai) dans les années 1970, la climatisation était coupée à 17 heures. Certes, les salariés ne travaillaient pas aussi tard à l’époque, mais toute personne devant faire des heures supplémentaires et n’ayant pas la chance d’avoir une fenêtre dans son bureau devait alors travailler dans des conditions extrêmement pénibles. De nos jours, la plupart des fenêtres dans les bureaux sont fermées hermétiquement. Selon l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED)2 basé à Londres, les villes sont responsables d’environ 40% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Selon les estimations faites par les Nations unies, ce chiffre serait plus élevé, aux alentours de 60–80%. La majeure partie de cette pollution est due à l’énergie utilisée dans les bâtiments pour le chauffage ou la climatisation (selon la région dans laquelle on se trouve), ainsi que pour l’éclairage et les ascenseurs. Cela ne tient pas compte de l’énergie grise des matériaux de construction. N’oublions pas qu’à l’instar du béton, l’acier et le verre (les deux matériaux les plus utilisés dans la construction de gratte–ciel en Inde de nos jours) sont extrêmement gourmands en énergie. Le secteur des transports est également l’un des secteurs les plus énergivores en ville. Le problème, c’est que ce ne sont pas les constructeurs qui occupent les bâtiments qu’ils construisent, et ce ne sont pas eux qui paient les factures d’électricité ou de gaz ; ils n’ont alors aucune raison de rendre leurs constructions plus écologiques. De plus, l’industrie de la construction ne prend pas en charge les coûts du cycle de vie d’un bâtiment : son objectif est d’achever le bâtiment (en Inde, il est possible qu’une partie ou la majeure partie de ce bâtiment soit vendue avant la fin des travaux) puis de s’en aller. C’est une idée reçue que de penser que les bâtiments écologiques sont plus coûteux ou qu’ils nécessitent des investissements plus conséquents. Les constructeurs pensent que ces bâtiments sont plus difficiles à construire, qu’ils sont moins beaux et moins agréables pour les personnes y travaillant que les bâtiments « non–écologiques ».
En termes d’activité dans le secteur du bâtiment, l’Inde arrive en deuxième position, après la Chine. La surface en bureaux construits devrait ainsi passer de 200 millions de mètres carrés en 2009 à 890 millions de mètres carrés à l’horizon 2030. L’industrie de la construction a utilisé quelques 81 millions de tonnes de matériaux en 2010, soit une augmentation de 9% par rapport à 2009. La moitié des déchets provenant des chantiers se retrouve dans des déchetteries (déchetteries qui se font de plus en plus rares en raison de l’inéluctable expansion des villes), ce qui révèle un manque d’efficacité. En effet, ces déchets pourraient être traités de diverses façons, notamment pour le revêtement des routes.
« L’économie et le secteur du bâtiment croissent à un rythme sans précédent en Inde ; ainsi, 75 % des bâtiments qui existeront en 2030 n’ont pas encore été construits » explique Anjali Jaiswal, directeur de l’India Initiative du Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC en anglais)3, basé aux États–Unis.
Le NRDC a récemment publié une étude intitulée « Taking Energy Efficiency to New Heights : An Analysis and Recommendations for the Commercial and High–Rise Buildings Sector4» (« Passer à la vitesse supérieure en matière d’efficacité énergétique : analyse et recommandations pour le secteur des bâtiments commerciaux et des gratte–ciel ») comprenant trois études de cas de bâtiments d’Hyderâbâd5 ainsi qu’un état des lieux des normes nationales et internationales en matière d’efficacité énergétique, et différentes options de financement. L’étude propose également des recommandations ciblées pour les différents acteurs concernés afin que l’Inde devienne un chef de file dans la course à l’efficacité énergétique. « L’Inde est face à la double occasion historique de faire des économies d’énergie pour les décennies à venir et d’être à l’avant–garde au niveau international en dictant des normes élevées d’efficacité énergétique, tout en repoussant les limites de ce que l’on croit possible », souligne David Goldstein, co–directeur du programme énergétique du NRDC. Les trois bâtiments d’Hyderâbâd offrent des exemples concrets des coûts liés à la construction, des processus de certification, des techniques d’efficacité énergétique employées dans le bâtiment, et des courts délais d’exécution nécessaires pour compenser les coûts liés à l’amélioration en matière d’efficacité énergétique.Selon l’Institut de l’énergie et des ressources(TERI en anglais)6, il manque en Inde quelque 190 millions de logements. Selon le Conseil national pour la recherche en économie appliquée (NCAER en anglais)7, la moitié de la classe moyenne sera logée d’ici à 2015. C’est l’occasion unique pour l’Inde de construire à partir de rien (littéralement), tout en évitant les erreurs du passé. Le secteur du bâtiment (dont les constructions résidentielles et commerciales, les hôpitaux, etc.) est responsable de 30 % de l’électricité consommée dans le pays. Seules 27 % des eaux usées sont traitées, avec des conséquences que nous connaissons trop bien pour accepter que de telles situations se reproduisent.
Des pratiques traditionnelles complètent le cadre législatif et normatif en place
En 2001, le Centre a adopté la loi sur la conservation de l’énergie (Energy Conservation Act), loi qui semble jusqu’ici avoir été davantage enfreinte que respectée. En 2007, un Code de la construction préservant l’énergie (Energy Conservation Building Code) a été adopté, mais appliqué sur la base du volontariat.
Désormais, grâce aux efforts réalisés par Ajay Mathur, directeur du Bureau de l’efficacité énergétique (BEE)8 récemment créé, les nouveaux bâtiments peuvent décider de respecter ce Code. Á Delhi, le bâtiment de l’hôpital Fortis est en règle vis–à–vis de ce Code (qui dicte certaines normes en matière de construction) et en tire des avantages.
Le Ministère des énergies nouvelles et renouvelables (MNRE), sous la direction de Farooq Abdullah, a lancé un programme de « bâtiments solaires ». Ces bâtiments, que l’on qualifie de bâtiments « solaires passifs » utilisent les variations diurnes (c’est–à–dire l’écart entre la température le jour et la nuit) pour le chauffage ou la climatisation des locaux, sans consommer d’électricité. Le flux de l’air peut également faire toute la différence à moindre coût, par la simple utilisation de bouches d’aération que l’on ouvre ou que l’on referme selon le besoin. En tout cas, si ces bâtiments ne suppriment pas totalement la nécessité de chauffer ou climatiser les locaux, ils en réduisent le besoin. Selon un document de l’Initiative bâtiments durables et climat du PNUE sur la situation actuelle de ces bâtiments dans les États d’Inde: « Les écoles d’architecture locales puisent leur inspiration dans la sagesse traditionnelle, source de beauté et de joie, pour faire ressortir la dimension culturelle dans les espaces construits en Inde. » L’architecte Charles Correa a souvent évoqué l’importance de construire des bâtiments « à ciel ouvert » dès que possible, avec des vérandas ou des cours. Il a tenté de reproduire ce type d’architecture dans son gratte–ciel emblématique Kanchanjunga, situé sur B.G Deshmukh Marg à Mumbai, en dotant chaque duplex d’une véranda.
Parmi les récentes initiatives ayant intégré les savoirs–faire traditionnels, on trouve le Centre de recherche du laboratoire pharmaceutique TorrentPhamarceuticalsLtd, à Ahmedabad9. Ce bâtiment est perçu comme l’incarnation de l’école de la pensée verte Mera Wala. A Pondichéry, le centre Sharanam est un centre de formation pour la construction de bâtiments utilisant certains des principes des temples tamouls. Le Centre d’activités Manav Sadhna prend pour modèle l’ashram de Gandhi et tente de bâtir des communautés durables dans les bidonvilles en incluant les industries artisanales dans cette re–conception. Enfin, le complexe de logements solaires de Kolkata tente d’élaborer, pour les bâtiments écologiques, un modèle durable d’un point de vue financier.
Deux systèmes d’évaluation des bâtiments écologiques co–existent en Inde. Le premier est le Green Rating for Integrated Habitat Assessment (système de notation écologique pour l’évaluation intégrée des logements, ou GRIHA), un système national bénéficiant du soutien du MNRE, et en partie mandaté par le gouvernement. Le Centre d’Ingénierie et de Sciences Environnementales de l’Institut Indien de Technologies de Kanpur est le premier bâtiment à avoir été aux normes GRIHA. Actuellement, environ 93 000 mètres carrés d’espace construit ont été enregistrés comme étant certifiés GRIHA. Cela représente 1 % de l’espace connecté au réseau dont les systèmes de climatisation et d’éclairage fonctionnent à partir d’énergies renouvelables. L’un des huit axes du plan d’action national sur le changement climatique, présenté en juin 2008 par le Premier ministre, porte sur les logements durables, et est chapeauté par le Ministère du développement urbain.
Le second système de notation est le Leadership in Energy and Environmental Design (LEED), lancé par l’India Green Building Council (Conseil indien des bâtiments écologiques, IGBC en anglais). Comme son nom l’indique, il s’agit d’une initiative lancée dans le secteur des bâtiments écologiques. Elle est parrainée par la Confédération de l’industrie indienne (CII). L’Institut pour la recherche et le développement rural de Gurgaon est le premier bâtiment à avoir été noté selon ce système. Le Centre d’affaires écologique CII–Sorabji Godrej à Hyderâbâd est certifié « platine » dans le cadre de ce système de notation. Au moins deux bâtiments de technologies de l’information et de la communication de Gurgaon et d’Hyderâbâd ont également eu la récompense d’être certifiés « platine ». D’ailleurs, le bâtiment basé à Hyderâbâd a reçu le Green Globe Awardpour l’architecture durable cette année lors du sommet qui s’est tenu à Delhi. Selon P.C Jain de IGBC, l’efficacité énergétique des bâtiments notés par LEED est passée de 61 % à 67 %. M. Jain a insisté sur l’importance de ne pas octroyer de fonds à ces bâtiments mais de favoriser les mesures incitatives. Les bâtiments certifiés LEED devraient bénéficier d’une augmentation de leur Coefficient d’occupation des sols (COS) (c’est–à–dire la quantité de construction admise sur une propriété foncière en fonction de sa superficie). Le niveau d’efficacité énergétique doit alors être maintenu, sous peine de lourde amende pour les contrevenants. Actuellement, l’équivalent d’environ 55 millions de mètres carrés ont été certifiés LEED.
Le Bureau pour l’efficacité énergétique (BEE) a déploré le fait que ces codes ne s’appliquent qu’aux bâtiments commerciaux. Mais le pays renforce petit à petit ses capacités dans le secteur. Ainsi, grâce à l’assistance fournie par USAID12, trente écoles d’ingénieurs et d’architectures proposent désormais des cours de certification écologique. Les étudiants suivent une formation, avant de passer un examen de compétences puis d’obtenir un permis de certification. Une attention est également portée à la question de matériaux adaptés. Le document de l’UNEP cite le TERI : «
De nombreux immeubles de bureaux récemment construits possèdent des murs–rideaux en verre (un type d’architecture importé), ce qui accroît la demande en climatisation mécanique. Or l’Inde est majoritairement marquée par un climat chaud. Des études menées récemment sur l’efficacité énergétique des bâtiments commerciaux en Inde révèlent une piètre performance de la part de ces derniers, si l’on s’en réfère aux normes internationales. Conséquence: les villes indiennes se retrouvent prises au piège de bâtiments énergivores et potentiellement non–compétitifs pour les décennies à venir. » Il ne reste plus qu’à espérer que le verre utilisé en ce moment pour couvrir trois des façades de la toute nouvelle gare Churchgate à Mumbai, à une distance d’1,80 mètre du bâtiment, soit vraiment en mesure de filtrer la lumière du soleil et les UV, comme le prétend Western Railways.
Le double–vitrage permet de réduire les besoins en chauffage/climatisation (tout en isolant du bruit), et des normes sont actuellement en train d’être élaborées en la matière. Les coefficients essentiels seront clairement indiqués sur les matériaux utilisés pour les fenêtres. Les consommateurs pourront alors effectuer un choix éclairé parmi les différentes options possibles. Il est plus aisé de permettre ces choix que de transformer le marché : les ampoules fluocompactes ont ainsi pratiquement remplacé les ampoules à incandescence. Les diodes électroluminescentes (DEL) constituent quant à elles une alternative intéressante aux ampoules fluocompactes en matière d’efficacité énergétique.
Selon le MNRE, l’utilisation des énergies renouvelables dans les bâtiments dépend du prix des énergies conventionnelles. Les énergies renouvelables ont un coût de départ élevé et nécessitent des règles du jeu équitables pour tous, ce qui n’est pas le cas actuellement au vu des subventions accordées aux énergies fossiles. Les énergies renouvelables nécessitent des mesures incitatives d’un point de vue financier et fiscal. A titre d’exemple, les chauffe–eaux solaires semblent être l’utilisation la plus efficace que l’on puisse faire de cette source d’énergie dans le contexte actuel en Inde, par opposition à la méthode trop coûteuse consistant à produire de l’électricité à partir de panneaux photovoltaïques. Les particuliers peuvent bénéficier de subventions ; les services publics ont répondu favorablement à ces technologies. Ainsi, le Conseil de l’électricité de l’État du Rajasthan, à l’instar de ses homologues des États du Karnataka, du Bengale–Occidental et du Tamil Nadu, propose une remise tarifaire aux gros consommateurs installant des chauffe–eaux solaires ; ils peuvent alors revendre l’électricité économisée aux industries, et ce à un tarif plus élevé.
Si ces chauffe–eaux n’ont pas réellement pris leur essor à Delhi, c’est parce qu’il est rare que l’approvisionnement en eau soit assuré 24h/24h. Lorsque le ballon est vide, il lui faut des heures pour se remplir et son fonctionnement dépend, in fine, des heures d’ensoleillement restantes dans la journée. De plus, contrairement aux populations d’autres États, les habitants de Delhi n’ont besoin d’eau chaude pour se laver que quatre mois par an environ. Selon le MNRE, les consommateurs de Delhi sont plus aisés et ne voient aucun inconvénient à dépenser quelques roupies supplémentaires pour leurs factures d’électricité.
Mais certains bâtiments officiels (hôtels, hôpitaux, etc.) ont effectivement opté pour l’installation de panneaux photovoltaïques, par souci d’économie. L’IGBC insiste sur l’augmentation du COS (Coefficient d’occupation des sols) pour les bâtiments certifiés GRIHA, ce qui semble excessivement intéressant de la part du secteur de la construction. La New Okhla Development Authority (NOIDA) a accordé une augmentation de 5% du COS de ces bâtiments, à condition qu’ils maintiennent leur statut pendant trois ans. Plusieurs grands constructeurs profitent de cette situation. L’IGBC soutient le même type de texte d’application dans d’autres villes, ou au moins, la mise en place de tarifs préférentiels de l’énergie pour les bâtiments certifiés. D’ici Divali13, le conseil publiera un code de la construction révisé, un document de 90 pages. Le MNRE, quant à lui, annonce une exonération des frais d’inscription pour les 100 premiers bâtiments à obtenir.
1 V.S Naipaul est un écrivain britannique d’origine indienne.
4 www.nrdc.org/international/india/files/efficiencynewheights.pdf
5 Hyderâbâd est la ville et la capitale de l’Andhra Pradesh, État de l’Inde du Sud.
9 Ahmedabad est la principale ville de l’État de Gujarat, au nord–ouest de l’Inde.
10 Consultez l’article original
11 Département central des travaux publics, Ministère du développement urbain, gouvernement indien.
12 L’USAID est l’agence des États–Unis pour le développement international.
13 Divali est une fête très populaire en Inde.
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