Pour limiter la pollution de sa nappe phréatique, Lons-le-Saunier a développé une agriculture bio et des circuits-courts
Claire Plouy, mayo 2019
À Lons-le-Saunier, 31% des produits consommés à l’échelle municipale sont bios et d’origine locale. Comment la ville en est-elle arrivée là ? Grâce à un constat : les ressources en eau du territoire étaient fortement polluées à cause de l’utilisation de pesticides par les agriculteurs. La ville a donc répondu à ce problème en incitant ses agriculteurs à produire du bio. Aujourd’hui, la ville a non seulement privilégié le bio mais développé aussi une logique de circuits-courts. Nous avons interviewé le maire de Lons-le-Saunier, Jacques Pélissard pour en savoir plus.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Les ressources en eau de Lons-le-Saunier étaient menacées. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait beaucoup de pesticides et de nitrates dans nos eaux. Par rapport aux valeurs guides de l’OMS, le niveau de pesticide était proche de la limite. Nous dépassions parfois les maximums en matière de nitrate en particulier. Pour cela, avec mon adjoint Jacques Lançon, qui est le délégué à l’énergie et au développement durable de la ville, nous avons construit plusieurs politiques en matière environnementale. À cause du niveau trop élevé de nitrates dans l’eau, nous avons décidé de conventionner les agriculteurs sur la zone de captage. Lons-le-Saunier pompe une partie de son eau potable dans une nappe alluviale. Les agriculteurs se sont donc engagés à limiter leurs intrants dans leurs pratiques agricoles en échange d’une indemnité compensatrice. Celle-ci vient compenser la activité moindre de leurs terres agricoles. Nous avons mis cela en place en 1992 et cela a très bien fonctionné. Le niveau d’intrants dans les eaux, aussi bien que celui des pesticides que des nitrates, a baissé.
Quelles autres mesures avez-vous mis en place ?
Avec Jacques Lançon, nous pensions qu’il fallait réfléchir à des modèles économiques plus actuels. Nous nous sommes donc basés sur une démarche liée à l’offre et la demande. Nous avions une demande alimentaire à laquelle il fallait répondre par une offre de produits bios. Nous avons souhaité garantir aux agriculteurs une demande en produits bios importante. En contre-partie, ils se sont engagés à proposer une offre de produits bios de leur part. Nous avons construit tout cela dans la durée. Premièrement, nous avons commencé avec le blé bio pour faire du pain bio. Celui-ci est arrivé à la fin des années 2000. Nous sommes ensuite passés aux produits laitiers en fournissant du lait bio grâce à un concours de l’École national de l’industrie laitière (ENIL) de Poligny. L’étape suivante a été la viande de bœuf bio. Nous achetons 20 vaches sur pied tous les mois. Elles sont abattues à l’abattoir municipal et consommées dans l’ensemble municipal. Toute la viande de bœuf bio que nous consommons à Lons-le-Saunier est née, élevée et abattue dans le Jura. Nous évitons ainsi d’importer des vaches de l’autre bout du continent européen. Elles sont donc non seulement bio, mais aussi de proximité. Pour y arriver, nous avons construit un partenariat avec la filière des éleveurs. La demande s’équilibre parfaitement avec l’offre. Enfin, nous avons continué avec les produits liés au maraîchage. Nous avons construit une légumerie. C’est un atelier où sont transformés et préparés des légumes venant d’une dizaine de producteurs. Cela facilite l’approvisionnement des restaurants collectifs en produits bios et locaux. Nous produisons environ 200 tonnes de produits de maraîchage par an. Nous les consommons tous à la cuisine centrale. Celle-ci alimente les restaurants des établissements publics. La cuisine centrale prépare 1 500 000 repas par an. Elle s’occupe à la fois des écoles, des hôpitaux, des EHPAD… Nous avons également un self sur le site de la cuisine pour les habitants de la ville. Ce secteur est équilibré et fonctionne bien. Nous ne perdons pas d’argent. Nous avons un dispositif qui permet un maintien des agriculteurs et éleveurs sur le territoire. La ville est une acheteuse importante. Je préfère consommer du bio de proximité dont la valeur ajoutée reste sur le territoire. De plus, chaque année, nous négocions un prix d’achat. Cela permet une stabilité à la fois pour les agriculteurs et pour nous.
Quelles ont été les difficultés ?
Nous avons eu des difficultés juridiques. Acheter des produits de proximité, ce n’est pas évident. Nous avons réussi à convaincre le gouvernement de modifier le code du commerce public en 2011. Nous voulions que le critère de proximité soit pris en compte au-delà du bio. Pour l’agroalimentaire, nous pouvons désormais acheter des produits de proximité, ce qui favorise les circuits-courts. Nous avons eu la même difficulté avec l’achat des vaches sur pied. Nous avons tout de même eu gain de cause avec une modification du Code du Commerce Public. Nous sommes aujourd’hui en capacité d’acheter en toute légalité des bêtes de proximité.
Une autre difficulté a été de convaincre nos futurs partenaires : les éleveurs et les agriculteurs. Toutefois, cela a été assez rapide. Nous avons dû les convaincre de la fiabilité de notre partenariat. Nous avons bâti une relation de confiance. Nous travaillons avec les agriculteurs depuis notre demande de limitation des intrants. Ils ont vu que nous ne les prenions pas pour des pollueurs, mais comme des partenaires. Nous avons donc engagé des rapports de confiance. Nous avons toujours négocié des prix raisonnables pour le producteur comme pour le consommateur. Nous ne voulons pas gagner d’argent sur le prix d’achat, car nous fixons un prix en début d’année qui vaut sur toute l’année. Ce prix garanti aux éleveurs une stabilité de leurs revenus.
Avez-vous des retours de la population ?
Les parents sont contents. Ils réalisent que leurs enfants consomment des produits sains à l’école. Sur le site internet de la ville, nous conseillons aux parents des repas pour le soir en fonction de ce que les enfants ont mangé à midi. Cela peut faciliter la vie des parents. De plus, le menu des cantines est disponible un mois en avance donc si un enfant a un régime particulier, une demande peut être réalisée si un enfant ne mange pas de viande par exemple.
Combien avez-vous dépensé ?
Nous avons investi plusieurs millions d’euros pour la construction et l’équipement de la cuisine centrale. Pour la légumerie, nous avons dépensé environ 900 000 d’euros. Nous avons eu des grosses subventions de l’Europe, de l’État et de la Région. L’Agence de l’Eau nous a aidé à financer aussi car ils ont bien compris l’intérêt de traiter en amont les questions liées aux productions agricoles présentes sur les zones de captage de la nappe phréatique. De plus, nous avons dépensé pour le surcoût des produits au début, comme pour le blé. Toutefois, cela a été rapidement lissé à la baisse.
Quel conseil donneriez-vous pour un territoire souhaitant faire la même chose ?
Il y a trois règles. Il faut, dans un premier temps, fixer un cap. Cela veut dire, être sûr que le bio est important et bien meilleur pour la santé. De plus, il faut savoir que le proximité est meilleure pour l’environnement ainsi que pour l’économie locale. Ensuite, il faut du temps. La politique ne se construit pas en un mandat. Ce n’est pas possible de passer au bio ou à la proximité qu’en plusieurs années. Il faut du temps et une continuité. Enfin, il est indispensable d’avoir une véritable volonté politique. Beaucoup de maires pensent que c’est plus simple de déléguer à un prestataire privé. En faisant cela, la qualité n’est pas toujours garantie !